Si StopCovid était une startup

L’histoire de l’application StopCovid est celle du gouvernement français qui se retrouve dans les chaussures d’une startup. Elle n’est plus en position hégémonique, dans le cadre du lancement d’un nouveau service majeur comme la carte Vitale ou l’assurance chômage, avec un bénéfice évident à titre individuel qui donne un taux d’inscription de 100% de la population ciblée. Elle lance un nouveau service qui doit séduire sa cible sous peine d’être un échec. Une quasi première pour l’Etat français, comme pour toutes les sociétés actuelles qui tentent de lancer des nouvelles activités « à la manière d’une startup », avec le résultat actuel que l’on connait. Pourtant, en utilisant la boite à outils de ces startups, beaucoup de choses auraient été faites autrement.

Des erreurs majeures

Le débat fait rage aujourd’hui sur l’aspect technologique de l’application mobile StopCovid. L’installation de ce type de service « espion », même sur base de volontariat, génère une levée de bouclier de la part de nombre d’acteurs, commentateurs politiques ou experts en sécurité informatique. Mais surtout, la situation invite à un choix complexe entre installer l’application qui ne servira peut-être nullement à lutter contre la pandémie ou ne pas l’installer et potentiellement créer un précédent synonyme de déploiement de surveillance de masse dans un futur proche. Ce débat sur l’utilisation de la technologie est inévitable, par contre, il aurait dû être contre-balancé par des éléments classiques d’une proposition de valeur : le bénéfice réel pour l’individu et l’expérience utilisateur proposée qui compensent les risques pris. Car ici, le seul bénéfice proposé est d’utiliser une solution qui peut potentiellement, mais sans aucune certitude, contribuer à lutter contre une épidémie que l’on a appelé « gripette » à ses débuts et qui est restée ancrée dans les esprits ainsi. Il est plus simple de faire dévier un porte-avion que de faire évoluer l’opinion publique.

La première erreur a donc été de ne pas valider un bénéfice individuel indiscutable en lieu et place d’une potentielle contribution à un effort de guerre. La proposition de valeur est ici trop faible pour que l’on s’y intéresse, mais l’émetteur de cette proposition de valeur est trop important pour que les critiques d’experts et commentateurs ne prennent pas dans les médias sociaux et finissent par rendre tout partage d’information inaudible. La seconde erreur a été d’introduire, ou plutôt d’ajouter, de la terminologie technique en utilisant le terme « Contact Tracing ». Le terme est bien trop proche de « Contact Tracking », qui est à la fois anxiogène et audible, alors que ce « Contact Tracing » se voulait d’abord être rassurant et protecteur des libertés individuelles puisque évitant justement ce « Contact Tracking », comme le font déjà des entreprises comme Facebook ou de manière moins évidente des éditeurs de jeux vidéo sur mobile. L’utilisation de cette terminologie technique créatrice de fausses croyances a renforcé la première erreur et a irrémédiablement interdit une discussion sur d’autres sujets, même s’ils sont bien plus importants. Car chacun y va de son petit refrain et prend toute la place médiatique disponible.

La troisième erreur est d’avoir pensé l’application StopCovid comme une réponse sanitaire et non comme un service qui doit proposer une expérience utilisateur, ou pour mieux rentrer dans l’exercice, une expérience client qui en vaille le coup. Car il n’y a aucun échange valable entre installer un outil de « Contact Trac(k)ing » et la « tête par dessus l’épaule » de l’Etat via son smartphone. Même si l’on parle d’une pandémie qui a mis à l’arrêt toute la planète, l’individu a besoin d’un gain substantiel pour installer une application de surveillance de sa personne de manière volontaire, car la possibilité de sauver l’autre n’est pas suffisante. Il faut qu’il puisse accéder à des outils et des services pour gérer au mieux la période de confinement, et de post-confinement, qu’il puisse obtenir de l’aide au cas où lui ou ses proches seraient infectés, qu’il puisse prendre contact avec d’autres pour constituer des « communautés virtuelles » pour avoir un sentiment d’appartenance et ainsi vivre un peu moins mal sa situation. Mais rien de tout cela n’a été proposé, alors que certaines briques sont disponibles par ailleurs, comme https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus ou https://maladiecoronavirus.fr/ ou tout récemment AlloCovid qui pourraient être très utiles.

Repenser StopCovid comme une startup

L’objectif cible est celui de santé publique, ce que cherche aussi à servir l’application StopCovid. Mais les problématiques politiques variées semble avoir raison de sa performance et de sa pertinence. Car, certes il y a un réel enjeu de sécurité des données et d’anonymat/ liberté individuelle. Mais avant cela, il y a celui de la gestion de la pandémie. Et même si nous voulons absolument protéger l’anonymat, et l’appétence pourrait être testée rapidement au lieu de faire des circonvolutions des avis des uns et des autres sur ce qui va plaire ou non, il est possible d’avoir un service qui soit de bien meilleure qualité que ce qui est envisagé.

L’important ici est d’éviter les écueils sur la thématique technologique en se concentrant d’abord sur l’expérience qui va être proposée, avec en ligne de mire l’objectif ultime qui est celui de la gestion sanitaire de la pandémie. Mais il ne faut pas se tromper de destinataire du bénéfice : ce n’est pas l’Etat qui doit recevoir le bénéfice (résoudre le problème sanitaire) mais l’utilisateur de l’application, et plus globalement du service public, pour qu’il puisse vivre au mieux cette période grâce à l’application. Et donc l’expérience individuelle devra évoluer en fonction du statut médical pour assurer son bien-être individuel quand la fonction de l’application sera d’apporter le support nécessaire aux équipes de l’Etat de répondre au challenge de la pandémie. Ce qui n’est clairement pas le cas aujourd’hui puisque la discussion est au niveau des protocoles utilisés et du conflit avec Google et Apple.

Tout le challenge va alors de déployer les fonctionnalités nécessaires aux équipes qui vont suivre les utilisateurs en fonction de leur état de santé, tout en assurant une expérience utilisateur qui soit bienveillante et pratique tout au long de la journée. En fonction des besoins de ces équipes uniquement, une expérience utilisateur pourra être déployée correctement. Mais elle devrait suivre les étapes qui sont le b.a.-ba des parcours clients de n’importe quelle startup (et plus généralement des entreprises qui ont une bonne performance de vente sur Internet) :
a. des outils pratiques pour qualifier l’utilisateur, par exemple le questionnaire pour savoir si l’on est malade
b. des outils d’information d’acculturation pour accompagner l’utilisateur dans sa connaissance du sujet, par exemple un fil info avec les infos certifiées par le gouvernement et les articles produits par les médias majeurs
c. des outils pour gérer son quotidien si l’on n’est pas touché, par exemple le fameux formulaire de déclaration sur l’honneur pour sortir
d. des outils pour gérer son quotidien si l’on est touché, par exemple un outil de discussion instantané avec l’équipe en charge du suivi des personnes atteintes du Covid
e. des outils pour les équipes de suivi pour qu’ils puissent gérer le suivi des patients et des personnes qui se posent des questions
f. des outils de communication courte distance entre les gens d’une même localisation pour créer des communautés d’entraide

Cette application, en ligne avec les besoins des équipes de santé, pourrait inclure ou non l’outil de contact tracing en fonction des choix politiques. L’intégration de cette fonction permettrait d’améliorer le niveau d’information fourni lorsque l’on n’est pas malade, et lorsque le statut change, de pouvoir partager l’information à qui de droit. Et l’utilisateur pourrait avoir le choix d’activer ou non cette fonction, à tout moment. Car le coeur de l’application est d’apporter les outils de support logistique (les échanges d’information) pour la réponse sanitaire, sans être un combat idéologique ou politique. Et il ne serait plus question de savoir si l’utilisation du contact tracing reviendrait à accepter la fin de la déclaration des droits de l’Homme, mais simplement un choix individuel du partage de ses informations personnelles à un tiers de confiance (l’Etat) ou à une technologie décentralisée (si le choix se porte sur la technologie portée par Google & Apple).

Et bien entendu, il ne serait pas question d’appeler cette application StopCovid ni d’utiliser le terme « contact tracing ».

Financer StopCovid comme une startup

Côté financier, le développement d’un tel service n’est pas très élevé. Il est ici question d’une fourchette entre €400k et €800k, en fonction du niveau de l’offre que l’on souhaite fournir sur la première version disponible au grand public. Et l’utilisation de compétences et de main d’oeuvre telle qu’elle est possible avec les partenaires stratégiques de l’Etat et la DiNUM pourrait donner lieu à des prouesses, si tant est que la gouvernance du projet est extraite du cycle de validation politique. Car sans cette capacité de vitesse, il est certain que l’échec est à la porte. Car la seule différence entre un projet qui fonctionne et un projet qui échoue est la volonté des donneurs d’ordre à tester leurs avancées face à leurs clients plutôt qu’à leurs direction.

Et il semble évident que la suite logique de cette application devienne au fil du temps la porte d’entrée vers le bouquet d’offres de services de l’Etat, le fameux guichet unique personnel. Mais c’est une autre histoire.

Pour aller plus loin :
Recours aux Gafam, centralisation : les choix techniques sur StopCovid ont attisé les tensions au sein de l’État
Contact tracing : tous fliqués ! Délires de l’artiste ou délires du paranoïaque ?
Publication de l’avis de la CNIL sur le projet d’application mobile « StopCovid »

Auteur/autrice : Romain Péchard

Directeur de missions de conseil et de déploiement de projets, spécialisé dans les projets d'innovation digitale et de lancement de nouveaux projets d'amélioration de performance business ou d'entrée dans de nouveaux marchés. J'ai eu l'occasion de collaborer avec des entreprises dans différents secteurs d'activité (CPG, Automobile, Assurances, Technologies, Cosmétiques, Energie, Construction), aussi bien pour des missions d'accompagnement stratégique de transformation digitale, Open Innovation, eCommerce, que de lancement de nouvelles lignes d'activité (depuis la phase de business planning jusqu'à celui de lancement opérationnel)