Corporate Venture 101

Le Corporate Venture est au croisement de l’open innovation et du Corporate Venture Capital, où l’idée rencontre l’envie d’une équipe interne de lancer une startup au sein d’un grand groupe. C’est une mécanique qui est sensée réduire drastiquement les risques en associant les ressources disponibles chez les grands groupes (connaissance métier, base client, savoir-faire) avec la capacité des entrepreneurs à concrétiser un projet et le transformer en réalité. Sur le papier, c’est une très bonne idée, son exécution est souvent une autre histoire.

Naviguer en interne

Pour que le projet de Corporate Venture soit un succès, il est critique d’anticiper que (a) c’est une véritable prise de risque (b) c’est un choc des cultures (c) l’alignement entre la grande entreprise et l’entrepreneur s’arrête une fois le projet validé et qu’il faut monter l’équipe. La capacité des équipes internes et surtout de l’entrepreneur en charge du lancement de cette Corporate Startup à naviguer en interne pour obtenir l’aide nécessaire est critique car la concurrence interne va être féroce. D’abord parce qu’il y a des contraintes internes à intégrer que l’entrepreneur n’aura pas en tête ou ne voudra pas prendre en compte. Ensuite parce que l’objectif de l’entrepreneur est d’avancer et faire croitre sa base de clients ou d’utilisateurs quand celui du Corporate est d’apprendre à sa vitesse, via des réunions et des rapports d’activité.

C’est pourquoi la culture d’entreprise du grand groupe est aussi importante à prendre en compte, avec des opérateurs capables de naviguer depuis le niveau opérationnel « à la vitesse startup » jusqu’au niveau des décisionnaires, avec une grande hauteur de vue et une feuille de route très éloignée des profils classiques d’entrepreneurs qui sont sélectionnés pour ce type de mission par les Corporate Startup studios. Car l’effet de levier de ces organisations est de prendre en charge la partie mission de conseil amont et de laisser un ex startuper lancer le projet pour passer au sujet suivant. Le Corporate startup studio prend les honoraires de conseil, puis un pourcentage des parts de la startup (joint venture entre le studio et le corporate ou pourcentage sur les résultats), le reste revenant à l’entrepreneur : si le succès est au rendez-vous, c’est un bonus pour le studio et si c’est un échec, c’est un échec pour l’entrepreneur mais certainement pas pour le studio car son/ ses fondateurs ne font pas partis de l’équipe et n’y passent plus que très peu de temps.

Pas question de donner de la liberté

L’alignement des intérêts s’arrête donc une fois le recrutement de l’entrepreneur validé et que le projet est lancé. Même si le studio investit aux côtés du grand groupe, l’exposition financière n’est pas suffisante pour réaligner les intérêts à moins que les fondateurs s’y investissent directement (soit via des fonds du studio et pas d’un partenaire financier, soit en pilotant directement le projet). La bonne idée peut donc rapidement tourner au crash si le studio n’est pas réellement impliqué, son intérêt étant de créer le plus de projets pour détenir un portefeuille. Pareil si l’entrepreneur est laissé seul, car la performance potentielle d’un projet de Corporate Startup fondée sur l’association avec les capacités du Corporate ne tiendra pas le test grandeur nature : le startuper, sans soutien ni accompagnement, se fera broyer par l’opérationnel demandée par le grand groupe ou par ses objectifs d’apprentissage qui sont très éloignés des objectifs de croissance.

En effet, pour faire grandir une startup, pas question d’aller tester des intégrations complexes ou de plonger dans des niches de marché qui n’ont d’intérêt que pour des Corporates. Le pilote risque de se confronter à une réalité qui n’est pas celle qui lui a été vendue et le drame est à portée de main. Cela signifie qu’il faut marquer à la culotte l’entrepreneur et lui expliquer efficacement que son objectif est de réussir dans un champ de contraintes imposées par le cadre Corporate. Un vrai problème lorsque le startuper est incité à faire grossir une base de clients et un CA, et que l’équation de valorisation de la startup est satisfaisante pour le studio et le corporate mais pas pour le premier intéressé. Un grand classique pourtant, et malheureusement pour lui car il a été invité à une table sans avoir droit à la parole.

Piloter le projet

Le pilotage du projet par le Corporate ou un proxy est donc critique au succès. Il faut intégrer un profil capable de faire le piston entre les enjeux et challenges du grand groupe, la raison pour laquelle la Corporate Startup est créée, et les intérêts du Startup Studio et de l’entrepreneur pour qu’il puisse y avoir une porte vers le succès. Il faut aussi déjouer les problèmes de reporting et d’intégration des équipes internes qui vont devoir être intégrées dès qu’il y a un potentiel de succès, pour pouvoir reprendre rapidement. Sans quoi, la situation revient à avoir fait l’acquisition d’une startup sans savoir si elle va pouvoir s’intégrer dans l’organisation efficacement. Certes, c’est un échec à moindre frais, mais quelle perte d’énergie pour prouver au board qu’il fallait y aller.

Le pilotage côté Corporate est donc critique. Et la relation avec les différents Core Business fera la différence car il est fort à parier que des synergies supplémentaires pourront être créées une fois que le projet sera monté en maturité et que le niveau d’intérêt sera supérieur (relatif aux milestones validés, forcément). Il faudra quelques compétences différentes d’un pilotage de projet classique (des connaissance et expériences en montage d’entreprise et des technologies associées pour une bonne compréhensions des enjeux) et un bonne capacité à naviguer dans l’environnement Corporate. Pas une mince affaire de trouver cet animal étonnant, mais pour ceux qui se lancent dans l’aventure du corporate startup ce n’est qu’un petit sujet de plus.

Auteur/autrice : Romain Péchard

Directeur de missions de conseil et de déploiement de projets, spécialisé dans les projets d'innovation digitale et de lancement de nouveaux projets d'amélioration de performance business ou d'entrée dans de nouveaux marchés. J'ai eu l'occasion de collaborer avec des entreprises dans différents secteurs d'activité (CPG, Automobile, Assurances, Technologies, Cosmétiques, Energie, Construction), aussi bien pour des missions d'accompagnement stratégique de transformation digitale, Open Innovation, eCommerce, que de lancement de nouvelles lignes d'activité (depuis la phase de business planning jusqu'à celui de lancement opérationnel)