Croissance : attaquer un segment adjacent

Les outils numériques ont la capacité particulière d’inviter à la créativité. Les barrières à l’entrée peuvent tomber rapidement à la suite d’un bond technologique dans un secteur, les coûts d’acquisition rendent tout à coup la remontée de la chaine de valeur possible, et les changements de comportements poussés par le digital créent de nouveaux marchés. C’est ce qui a mis en route la « startup nation » et a obligé toutes les entreprises à faire leur transformation digitale. Quelques réflexes sont pourtant importants à garder en tête pour ne pas se tromper. Racheter une startup faisant partie des erreurs à ne pas reproduire, à moins d’avoir une bonne capacité à les réintégrer très lentement.

Vers le haut ou en latéral

Deux directions à prendre si vous souhaitez attaquer un nouveau segment de marché en utilisant les outils digitaux : vers le haut de votre chaine de valeur car les coûts d’acquisition et de relation avec les clients finaux sont moindre (cf. les stratégies de Direct-to-Customer, D2C), et sur le côté en faisant levier sur votre base de clients pour leur proposer de nouveaux services (plutôt pour des marchés émergents, à condition d’avoir une chaine de « production » capable d’évoluer rapidement). Vers le haut nécessite d’acquérir de nouvelles compétences « soft skills » car il est question de proposer une interface client là où vous n’aviez que très peu de choses avant. Vers le côté est une tout autre histoire car vous parlez d’un segment nouveau pour vous (et souvent pour les concurrents). La question suivante est de savoir si c’est le bon moment, et pour cela il faut comprendre la technologie qui motorise le marché adjacent et arbitrer avec votre propre capacité à la déployer efficacement.

Un exemple simple est celui des startups financières comme N26 ou Revolut : leur promesse est une nouvelle expérience de la banque. Rien de très complexe à première vue, si ce n’est que l’organisation et toute l’architecture technologique des Corporates n’est pas prête à évoluer. D’où l’intérêt pour les startups de créer une couche supplémentaire et de la facturer à la manière d’une banque. Cela a créé une « fuite » vers ces acteurs et ici deux options sont possibles : (a) se mettre en concurrence avec ces startups et à termes se frotter à elles ou (b) devenir le vendeur de pelles et de pioches en proposant des offres spécialement taillées pour elles. Ce qui n’a pas été le cas, avec toute la casse survenue chez les grands groupes pour lancer des acteurs digitaux. Erreur que n’a pas fait le monde de l’assurance avec tous les neo-assureurs.

Acheter, construire ou s’associer

Le fameux « Buy/ Build/ Partner » entre en ligne de compte une fois que la stratégie est validée et que le sujet de la technologie a été triplement validé selon 3 angles différents (intégrabilité, alignement, expérience client). L’option qui consiste à racheter est toujours intéressante, et l’existence de votre direction M&A en est la preuve. Mais il faut faire très attention dans ses prérogatives car cette dernière n’est absolument pas de racheter une startup qui par définition n’est pas stabilisée. Et donc sans process standardisés ni d’infrastructure stable, ni de culture stable (les profils des salariés vont changer en fonction du niveau de maturité, à minima sur les 5/7 premières années). En parallèle, il faut que votre cible soit pertinente en termes de poids économique, ce qui n’est que trop rarement le cas malheureusement.

L’option de construire en interne est plus intéressante mais vient avec ses challenges : vous n’avez pas les bonnes ressources en interne pour lancer ce type de projet et si vous allez en chercher en externe, il n’est pas certain que l’association se fasse comme vous le souhaitez. Il y a une réelle prise de risque pour les internes de prendre en charge ce type de projet à fort niveau de risque et très faible niveau de récompense (à moins de créer une filiale et de donner des bonus, mais gare à l’effet de bord en interne). Passer par un Corporate Startup Studio réduit les risques, mais il y a toujours le sujet de l’accompagnement de ce type de projet.

Reste l’option de la création d’un partenariat avec des startups pour devenir le vendeur de pioches et de pelles. Ce qui se passe dans le monde des assurances (création de produits et services pour tous les neo-assureurs), dans le monde du retail avec les producteurs de vêtements qui proposent des gammes spécifiques pour les entreprises qui souhaitent se lancer sans réseau physique (les DNVB). C’est une bien meilleure option qui, en plus de réduire le stress sur l’organisation interne, a le mérite de générer tout de suite de la top line. Elle vous positionne directement comme un acteur central, vous renvoie des chiffres via vos nouveaux partenaires startups, et vous invite à revisiter votre inventaire de services et produits sans prise de risque majeure. Ce sont les startups qui font les paris et vous qui en tirez les conséquences. Jusqu’au potentiel rachat si une de ces startups croit très rapidement et que vous avez confirmé que vous êtes opérationnellement complémentaires.

La complémentarité, unique créateur de valeur

Dans le jeu de la croissance via des startups, le seul et unique outil de mesure de l’opportunité doit être celui de la complémentarité. Et elle ne se déclare pas, elle se vit. Sinon il est fort possible que vous vous mettiez en position de créer un Nième concurrent dans un marché plein d’entrepreneurs mieux armés que vous (mieux connecté aux ressources nécessaires, plus sexy en termes de RH, qui ont plus faim, qui sont mieux financés via leurs VCs). Cela a été le cas dans différents secteurs d’activité où toute une armée de me-too se sont constitués et que personne ne s’en est sorti parce que la chaine de valeur a été maltraitée, et que l’on a vendu la lune à des Corporates qui ont oublié leurs fondamentaux (livraison de rasoirs, de repas, vente d’accessoires pour animaux, nft, blockchain, …). Mieux vaut donc créer des partenariats fructueux avec des startups et les aider à croitre rapidement plutôt que de vous lancer dans cette course effrénée où les Corporates partent avec trop de boulets aux pieds.

Auteur/autrice : Romain Péchard

Directeur de missions de conseil et de déploiement de projets, spécialisé dans les projets d'innovation digitale et de lancement de nouveaux projets d'amélioration de performance business ou d'entrée dans de nouveaux marchés. J'ai eu l'occasion de collaborer avec des entreprises dans différents secteurs d'activité (CPG, Automobile, Assurances, Technologies, Cosmétiques, Energie, Construction), aussi bien pour des missions d'accompagnement stratégique de transformation digitale, Open Innovation, eCommerce, que de lancement de nouvelles lignes d'activité (depuis la phase de business planning jusqu'à celui de lancement opérationnel)